vendredi 20 avril 2012




Je pédalerais jusque chez toi. J'extirperais mon vélo de son cadenas, je l'aiderais à naviguer les recoins de la cour intérieure & ceux de mon appartement, je le ferais maladroitement dévaler les trois marches qui séparent la porte du trottoir. La sangle du casque chatouillerait ma gorge & j'aurais comme quelque chose de coincé dans le larynx -- de petites trahisons qui passent mal, des erreurs encore toutes jeunes. J'enfourcherais le vélo & je me glisserais entre les voitures immobilisées dans le trafic & je pédalerais jusque chez toi.

Au bout du trajet il y aurait quelque chose de grand, peut-être.





J'écoute Émilie Proulx, j'écoute la radio, j'écoute la pluie qui écorche le sol bétonné de la cour intérieure ; j'ai la tête qui tourne à force d'être si triste & déçue & en colère & remuée & malmenée, tout ça en même temps, tout ça simultanément. Mes petites déchirures à moi sont happées par les grandes choses qui font les grands titres & je les laisse aller, je les laisse se fondre dans la masse. C'est correct.




samedi 14 avril 2012




Le chat roulé en boule dans l'évier de la salle de bain, les livres de trois bibliothèques différentes qui s'emmêlent sur une seule tablette. Les vêtements que je sors de leurs tiroirs & que j'essaie & que je drape sur des bouts de chaises & des portes entrouvertes. La grosse lampe de poche qui sur la table côtoie une paire de lunettes 3D, des écouteurs défectueux, du courrier destin à l'ancienne locataire & les trois dernières pages d'un article scientifique qui tente désespérément de modéliser la participation citoyenne : il n'y a rien qui chez moi soit à sa place. Il n'y a rien qui dans ma tête soit à sa place.




Dans la nuit de jeudi à vendredi, il est une heure du matin & je suis à vélo, à vélo & en jupe, à pédaler les genoux serrés même s'il n'y a pas grand-monde pour voir ce qu'il y a en dessous. Je traverse tout Rosemont & je fredonne des bouts de chansons que je raccorde maladroitement les uns aux autres ; je suis pas exactement sereine, pas particulièrement heureuse non plus, je traîne une drôle de fébrilité qui tire sur l'angoisse, mais je me dis qu'il reste toujours les gens qu'on peut appeler en catastrophe, un jeudi soir, & les choses apaisantes qu'ils savent vous servir avec une tasse de thé. Je tire les manches de mon chandail jusqu'au bout de mes doigts & j'agrippe très fort le guidon, comme si j'avais peur de tomber.




dimanche 8 avril 2012




C'est le printemps & le chat perd ses poils de façon presque impétueuse. Je sors le vieil aspirateur style R2-D2 que l'ancienne locataire m'a laissé & j'essaie de libérer l'air & les surfaces d'une partie des rebuts de  pilosité qui les encombrent, mais sans grand succès. Avant de sortir je fais glisser la brosse sur mes vêtements, minutieusement, mais il y a toujours ces endroits que j'oublie : l'arrière des genoux, la courbe des épaules. Je rencontre des gens & je leur parle & je reste avec l'impression que je traîne sur le bout de la langue deux ou trois poils espiègles, que c'est eux qui m'empêchent de dire les choses exactement comme je voudrais les dire.




Ce mois-ci j'ai eu envie de changer d'appartement. J'ai acheté un vélo usager à la place, & mon envie de partir s'est allégée. J'ai décidé que cet été sera l'été où j'arrêterai d'avoir horriblement peur de me déplacer à bicyclette en ville. Jusqu'à maintenant, c'est un dur combat que je suis pas certaine d'être en voie de gagner.

(Mais j'ai quand même encore un peu envie de partir.)




Parfois je préfère éviter les gens parce que je sais qu'après il faudra que je réapprenne un peu à être seule. C'est une crainte qui en vaut pas tellement la peine.