mardi 13 avril 2010






Presque soûle avec Porcelaine au Proekt OGI, à se dire qu’on devrait ouvrir un bar à Québec. À côté il y a de très petits Mexicains qui nous regardent en souriant, en face il y a deux Russes qui essaient maladroitement de pousser des bières dans notre direction, des nol piats Baltika 7, cheapette mais c’est de la bière gratuite, probablement pleines de roofies parce que Proekt OGI c’est comme ça, faussement grunge, alterno-alternatif sur les bords, mais vraiment c’est le même monde partout, Moscou, Moscou! On se dit qu’on ferait des mardis Gerry Boulet, est-ce que ça existe les gens qui n’aiment pas Gerry Boulet, & le Français à côté fait c’est qui ça, Gerry qui?.

Dans le taxi pour revenir je fais la conversation avec le chauffeur, il est Iranien, ici depuis huit ans, il y a des quantités astronomiques d’Iraniens à Moscou, il me demande si je suis bien payée, faut pas te faire exploiter ma petite fille, c’est vraiment ce qu’il me dit, ma petite fille, devotchka, & à la fin de la course il me dit ça fera deux cents roubles, deux cents roubles & ton numéro de téléphone? C’est la seule chose que Porcelaine comprend & elle en rit longtemps, longtemps, jusqu’à ce qu’on dépasse les gardes de sécurité endormis & le bâtiment lourd de sommeil, lourd de notre sommeil à nous, les bières dans l’estomac, les jambes molles d’avoir trop sauté dansé chanté, les joues rouges de toute la vie qui réussit à s’entortiller dans nos mots.




J'ai trouvé un vieil exemplaire de Bonheur d'occasion dans un des endroits où je travaille, une édition de 1947 en deux tomes, au papier revêche, très jauni. Je le lis debout dans le métro, comme tout le monde ici lit à l'heure de pointe, une main contre la porte & l'autre sous le livre. Ça me fait drôle de relire un roman que j'ai lu pour la dernière fois à quatorze ans, ça me fait drôle de penser qu'entre cet exemplaire-ci & celui de la bibliothèque de mes parents il y a dix ans, dix très petites & très infiniment longues années, ça me donne le tournis mais ça m'apaise, d'une certaine façon. Saint-Henri des années quarante, la guerre, je pense à mon grand-père -- & ça a quelque chose de doux de penser à lui dans un wagon de métro, à Moscou, les membres comprimés entre un bout de siège & des tas de corps inconnus, ça a quelque chose d'incroyablement tendre de me rappeler ses histoires & ses souvenirs, même très loin, même tout croche, comme ça, à l'heure de pointe moscovite, vers les dix-huit heures trois minutes.




Hier c'était l'anniversaire de la mise en orbite de Youri Gagarine. Parades sur Tverskaïa, cadets russes à tous les coins de rue -- officiellement c'est les cosmonautes qu'on célèbre, mais vraiment il n'y a que Youri pour attirer les foules. L'année prochaine ça fera cinquante ans, sa promenade dans l'espace, & je l'ai inscrit sur mon calendrier, une belle grande étoile rouge, parce que si j'avais à tapisser les murs de ma chambre du visage d'un seul homme, c'est sûrement, indubitablement, magistralement! Youri qui gagnerait. (Désolée, Buzz. Je t'aime quand même.)