mardi 10 juillet 2012




Si jamais vous avez envie de m'entendre radotter sur le Pays basque, je suis finaliste pour le Prix du récit de Radio-Canada -- & c'est juste ici. & ici, aussi.

...je dois tout de suite casser le punch & dire que c'est pas moi qui suis la grande grande gagnante, mais tsé. Ça me rend quand même pas mal heureuse.




samedi 16 juin 2012





Je fais des oeufs brouillés le matin. Je bois des café latte de façon volontaire pour la première fois de ma vie. J'achète un billet d'avion pour l'Ukraine. J'assiste à des conférences données par des gens tellement à gauche que je finis par me sentir un peu coincée & aride, cartésienne & trop pointilleuse. Je vais (presque) partout à vélo & j'espère me faire prendre par la pluie bientôt, juste parce que, juste pour entendre le son que ça que ça fait, des gouttes de pluie sur un casque. Je relis des livres avec lesquels je retombe en amour. J'écris dans des endroits publics, à plat ventre dans des parcs au soleil ou coincée contre la fenêtre à peu près propre d'un café. Quand je suis triste, le dimanche soir, je bois toute seule une stout très foncée qui goûte le moka, & les choses se tassent. 

C'est pas que j'essaie de changer, mais ça fait du bien de me tricoter un été qui ait quelque chose de différent de tous ceux d'avant.





samedi 9 juin 2012





Il y a des aigrettes de pissenlit qui dansent devant mes fenêtres & je mets un bon trente-cinq secondes à comprendre que c'est pas de la neige. Mais c'est que dans mon appartement il fait froid : je fais du thé juste pour le plaisir de pouvoir frôler la tasse de mes orteils nus.



vendredi 20 avril 2012




Je pédalerais jusque chez toi. J'extirperais mon vélo de son cadenas, je l'aiderais à naviguer les recoins de la cour intérieure & ceux de mon appartement, je le ferais maladroitement dévaler les trois marches qui séparent la porte du trottoir. La sangle du casque chatouillerait ma gorge & j'aurais comme quelque chose de coincé dans le larynx -- de petites trahisons qui passent mal, des erreurs encore toutes jeunes. J'enfourcherais le vélo & je me glisserais entre les voitures immobilisées dans le trafic & je pédalerais jusque chez toi.

Au bout du trajet il y aurait quelque chose de grand, peut-être.





J'écoute Émilie Proulx, j'écoute la radio, j'écoute la pluie qui écorche le sol bétonné de la cour intérieure ; j'ai la tête qui tourne à force d'être si triste & déçue & en colère & remuée & malmenée, tout ça en même temps, tout ça simultanément. Mes petites déchirures à moi sont happées par les grandes choses qui font les grands titres & je les laisse aller, je les laisse se fondre dans la masse. C'est correct.




samedi 14 avril 2012




Le chat roulé en boule dans l'évier de la salle de bain, les livres de trois bibliothèques différentes qui s'emmêlent sur une seule tablette. Les vêtements que je sors de leurs tiroirs & que j'essaie & que je drape sur des bouts de chaises & des portes entrouvertes. La grosse lampe de poche qui sur la table côtoie une paire de lunettes 3D, des écouteurs défectueux, du courrier destin à l'ancienne locataire & les trois dernières pages d'un article scientifique qui tente désespérément de modéliser la participation citoyenne : il n'y a rien qui chez moi soit à sa place. Il n'y a rien qui dans ma tête soit à sa place.




Dans la nuit de jeudi à vendredi, il est une heure du matin & je suis à vélo, à vélo & en jupe, à pédaler les genoux serrés même s'il n'y a pas grand-monde pour voir ce qu'il y a en dessous. Je traverse tout Rosemont & je fredonne des bouts de chansons que je raccorde maladroitement les uns aux autres ; je suis pas exactement sereine, pas particulièrement heureuse non plus, je traîne une drôle de fébrilité qui tire sur l'angoisse, mais je me dis qu'il reste toujours les gens qu'on peut appeler en catastrophe, un jeudi soir, & les choses apaisantes qu'ils savent vous servir avec une tasse de thé. Je tire les manches de mon chandail jusqu'au bout de mes doigts & j'agrippe très fort le guidon, comme si j'avais peur de tomber.




dimanche 8 avril 2012




C'est le printemps & le chat perd ses poils de façon presque impétueuse. Je sors le vieil aspirateur style R2-D2 que l'ancienne locataire m'a laissé & j'essaie de libérer l'air & les surfaces d'une partie des rebuts de  pilosité qui les encombrent, mais sans grand succès. Avant de sortir je fais glisser la brosse sur mes vêtements, minutieusement, mais il y a toujours ces endroits que j'oublie : l'arrière des genoux, la courbe des épaules. Je rencontre des gens & je leur parle & je reste avec l'impression que je traîne sur le bout de la langue deux ou trois poils espiègles, que c'est eux qui m'empêchent de dire les choses exactement comme je voudrais les dire.




Ce mois-ci j'ai eu envie de changer d'appartement. J'ai acheté un vélo usager à la place, & mon envie de partir s'est allégée. J'ai décidé que cet été sera l'été où j'arrêterai d'avoir horriblement peur de me déplacer à bicyclette en ville. Jusqu'à maintenant, c'est un dur combat que je suis pas certaine d'être en voie de gagner.

(Mais j'ai quand même encore un peu envie de partir.)




Parfois je préfère éviter les gens parce que je sais qu'après il faudra que je réapprenne un peu à être seule. C'est une crainte qui en vaut pas tellement la peine.



mardi 20 mars 2012






Aujourd'hui j'ai fait comme tout le monde, je suis sortie dehors.

Je suis partie à pied vers la bibliothèque avec les trente-six mille livres que j'avais à rendre, la sangle de mon sac s'enfonçait dans ce creux qu'il y a entre le cou & l'épaule mais c'était pas grave, les premiers jours chauds de printemps endorment toutes les petites douleurs. J'ai croisé un gars qui m'a regardé & qui a rebroussé chemin pour me suivre. Après quatre coins de rues, alors que j'attendais le feu vert pour traverser, il est venu très près de moi & m'a dit j'aime le bruit que tes talons font contre le trottoir. Je me suis dit seigneur cibole, mais il est reparti dans la direction opposée. J'ai enlevé mes écouteurs & j'ai trouvé qu'il exagérait un peu, parce que moi j'entendais pas grand-chose.

À la bibliothèque je suis montée m'asseoir devant les grandes fenêtres du troisième étage. La femme devant moi lisait un gros livre de théories conspirationnistes ; sur la couverture rouge il y avait Michael Jackson, & les tours du World Trade Center, & quelqu'un qui ressemblait à un Amish mais qui aurait pu être Juif hassidique. J'ai lu le premier chapitre du livre de Nicolas Langelier, son roman déguisé en autre chose, mais je l'ai pas emprunté. J'ai regardé par la fenêtre & j'ai suivi des yeux le plus longtemps possible deux backpackers qui arrivaient de la gare d'autobus ; le gars avait sur la tête l'espèce de chignon trop haut de toutes les filles de mon quartier. La fille avait les cheveux détachés & le plus grand sourire du monde dans le visage. Je les ai enviés, juste un tout petit peu, de débarquer dans une Montréal rayonnante de nouvelle chaleur.





Maintenant j'ai un chat, mais un chat qui ne restera pas très longtemps, juste le temps qu'il guérisse d'une grippe féline étrange qui demande une demi-cuillerée de sirop jaunâtre chaque matin. Je suis devenue famille d'accueil pour la SPCA (oui oui, c'est une chose qui existe) & la nuit le chat s'enroule dans mes pieds, ses moustaches me chatouillent. Quand il miaule on dirait presque un roucoulement, quelque chose de délicat et de mélodieux mais d'un peu drôle, aussi. C'est un son qui fait du bien.





jeudi 23 février 2012



Les frères de ma grand-mère qui sont morts avant ma naissance ont des prénoms merveilleusement évocateurs : Dari et Saint-Georges. Comme celui qui terrasse les dragons, bien sûr, mais pour Dari j'avais pas la moindre idée jusqu'à ce que je tombe sur quelque chose la semaine dernière, au cours d'une dérive wikipédia-enne : le dari, c'est une variante du persan qu'on parle encore en Afghanistan & en Iran.

Avec des prénoms comme ceux-là, qui conjurent des images de grandes montagnes sèches & de chevaliers en armure, comment est-ce qu'on pourrait faire autrement que d'avoir envie de leur inventer des histoires?

Moi j’aime imaginer que Dari appelait Saint-Georges Saint, à l’anglaise, avec un t final bien sonore ; j’aime penser que Saint-Georges ripostait en étirant le prénom de son frère pour en faire un darling qui ressemblait à ceux dont mon arrière-grand-mère attifait tous ses enfants. J'aime réfléchir à leur vie, ces temps-ci, & reconstruire dans ma tête ce que ç'a pu être que de grandir dans une famille anglophone à Cap-de-la-Madeleine -- l'école chez les frères irlandais qui pinçaient de leurs gros doigts l'arrière de la nuque des garçons turbulents ; la pipe de leur père en équilibre sur le manteau de la cheminée ; les filles de la paroisse francophone qui riaient de leur accent & laissaient glisser des aïlle love you hors des cols relevés de leurs manteaux, l'hiver, alors qu'ils se croisaient tous à la hauteur de la rivière Saint-Maurice. Pas parce qu'elles les aimaient, que ma grand-mère m'a toujours dit, mais parce qu'elles ne savaient pas dire autre chose.

L’avion de Dari s’est perdu quelque part au-dessus d’un océan durant la Deuxième Guerre mondiale, & tout ce que je sais de Saint-Georges, c’est que tout juste avant de mourir il avait perdu tous ses cheveux, ses sourcils, & même ses cils. 

Moi je continue à croire que les fictions qu'on invente aux gens qu'on aurait voulu avoir l'occasion d'aimer parlent parfois mieux d'eux que le récit de la fin de leur vie.







Je lave mes robes à fleurs & à oiseaux & à drôles de motifs verts turquoise blancs dans l'évier de la salle de bain, je les glisse soigneusement sur des cintres & je les suspends sur la tringle de la douche pour qu'elles sèchent devant la fenêtre entrouverte. Ça fait des gouttes sur le plancher & des taches de couleur dans ma vision périphérique chaque fois que je passe devant la salle de bains & aujourd'hui je fais des milliers d'aller-retour, quatre brassées de lavage dans la buanderie du building & le balai partout dans l'appartement, le chiffon humide pour l'époussetage, le vinaigre pour désinfecter & le frigo que j'essaie de vider. Je prends l'avion très tôt samedi matin & j'ai hâte de faire mes bagages.



samedi 28 janvier 2012




Qu'est-ce qui reste aux journées quand elles sont presque entièrement grises, de l'eau qui stagne dans les grandes flaques de gadoue jusqu'aux petits bouts de ciel qui chatouillent le haut de mes fenêtres? Le thé très rouge, peut-être, mon ukulélé turquoise, le rose de mes lèvres toujours gercées, écrire sur les collines d'un vert humide qui entourent Gasteiz. Tricoter avec application des bas rayés, du jaune & du vert, encore ; tenter de qualifier le orange des taches de rouille qui montent le long des vélos toujours empilés dans la cour intérieure -- orange brunâtre, orange calciné? Écouter Pierre & Marie en boucle & penser à toutes les couleurs que je connais pas. Chartreuse, est-ce que c'est commme une sorte de jaune?

C'est ce que je me demandais hier, mais aujourd'hui il fait beau & j'y pense plus.




Je me suis aperçue que le plus souvent je vois l'acte d'écrire comme quelque chose de très délicat, une petite créature fragile qu'il faut enrober de précautions, de routines particulières, pour laquelle il faut créer des espaces douillets & réconfortants, de bons espaces chauds où le monde extérieur ne s'insinue presque pas. Je suis pas certaine que ce soit vrai. Ces temps-ci tout ce que je fais est très chaotique, j'empile pêle-mêle des phrases qui sortent de nulle part, & c'est pas comme une image de cinéma, je serai jamais cette figure de l'écrivain qui entre littéralement en transe devant l'écran de son ordinateur, mais il y a quelque chose de bon dans le désordre. Ça m'aura pris très longtemps à le comprendre.




Hier la madame au comptoir de la bibliothèque de quartier m'a reconnue quand je suis venue récupérer une réservation, un grand sourire & oui oui oui, je sais que j'ai quelque chose pour toi. & c'est pas la première fois, mais je me suis sentie chez moi ici, à Montréal.


vendredi 20 janvier 2012




Chez moi c'est tout petit & chaque fois que j'y entre ça sent le café, ça embaume le café, une bonne odeur corsée qui réchauffe quelque chose en moi, je pourrais pas dire exactement quoi, peut-être le plexus solaire ou cet endroit que je sais jamais comment décrire, un peu passé la base du cou, là où les clavicules distendent la peau & forment comme ds digues devant toutes les plus petites marées du monde.

Ça me rappelle aussi que je m'étais promis de boire beaucoup moins de café, c'était ma seule & pitoyable & minuscule résolution du Nouvel An, mais ça c'est déjà autre chose.




Cette semaine je suis passée assez systématiquement à travers toutes les archives de Nous sommes les filles &, tsé. C'est ce que vous devriez faire aussi, je pense.




C'était au début du mois de janvier & c'était très tôt le matin ; je suis sortie pour que le froid de l'hiver chasse ce qui me restait de décalage horaire. Il faisait encore presque noir, seulement de grandes traînées de gris pâle dans le fond du ciel, mais au coin de St-Denis & St-Joseph il y avait déjà un squeegee qui plaidait à genoux devant une voiture de police. Il y avait des morceaux de sable & de gros sel sur les trottoirs, & je me suis dit que ça grugerait le tissu de ses pantalons s'il restait comme ça trop longtemps.

J'ai marché longtemps parce que j'avais la tête trop embrumée pour faire autre chose. J'avais laissé mes mitaines chez moi alors après un moment j'ai fait quelque chose que je fais jamais : je suis entrée quelque part pour prendre un déjeuner un oeuf bacon des toasts pleines de beurre à trois & quatre-vingt quinze. Quand la serveuse est venue prendre ma commande je n'avais pas faim, mais dès que j'ai crevé le jaune d'oeuf pour y tremper un bout de pain j'ai eu envie de tout engloutir, il y avait quelque chose dans mon ventre qui s'était ouvert. Je me suis dit que manger c'est comme avoir du chagrin, un peu : plus on pleure & plus on trouve des raisons d'être triste. À la radio il y avait Frank Sinatra qui chantait une chanson de Noël même si ce n'était plus Noël, & ça m'a fait penser à toi.